DePicnic / El Humano Marrano

(Domi Delgado)

Domi Delgado, San Sebastien, 1985, Jose Mesa

Je suis l’homme pourceau
Rien à voir avec Mecano
Je suis triste mais bien portant
Tu vas savoir pourquoi maintenant

Himno, El Humano Marrano.

Domi Delgado est né en mai 1962 au Costa Rica. Suivant les activités professionnelles du père, qui travaille dans le commerce de la banane, sa famille s’installe à New York puis dans une petite localité des Canaries, Tarajalejo, sur l’île de Fuerteventura, alors qu’il est encore enfant. On sait notamment que Domi Delgado étudie assez tôt la guitare. Il entre ensuite à l’Université de La Laguna d’où il est expulsé en raison de sa conduite dissolue.

Marqué par l’éclosion du punk, Domi Delgado s’affirme très tôt comme une personnalité originale et indépendante, dotée d’un humour quedón, comme disent les espagnols, c’est-à-dire moqueur et qui, en apparence du moins, ne respecte rien. « Pour le carnaval de 1978, déclare-t-il, on s’était déguisés en punks et on ne s’est pas enlevés les déguisements depuis« . C’est aussi une personnalité inquiète et en recherche, qui s’efforce de se maintenir au courant des dernières évolutions musicales, malgré l’isolement relatif et la distance que supposent alors la vie dans l’archipel.

Domi Delgado par Jose Mesa

En 1980, Domi Delgado fonde à Tenerife le groupe Familia Real. Fleuron punk des îles Canaries, Familia Real combine l’influence séminale des Sex Pistols à des sonorités plus sombres et habitées qui évoquent Birthday Party, le Gun Club ou Magazine. Sorte de Wilko Johnson hispanique, Domi Delgado dispose alors d’un style énergique tout en power-chords tranchants qui fait de lui l’un des meilleurs guitaristes du pays. Peu nombreux seront ceux qui pourront le vérifier puisque le groupe ne se produira jamais en concert sur le continent. Durant ses presque trois années d’existence, Familia Real enregistrera un unique single, sorti en 1982, ainsi que plusieurs vidéoclips et des maquettes qui circuleront sur cassettes de façon limitée, mais il marquera durablement les esprits.

Parallèlement, Domi Delgado développe dans la première moitié des années 80 une hyperactivité éditoriale et créative, constituant un archipel à lui tout seul. A travers son propre micro-label, Yerk-23, il se consacre tout d’abord à éditer des cassettes comprenant les enregistrements live ou les maquettes de groupes punks comme Familia Real, Farmacia de Guardia ou Skalectric. Introuvables aujourd’hui, Vacaciones en Tenerife (1982), Masakre en Los Rodeos (1882) ou Vacaciones en África (1983) en sont quelques exemples aux titres ironiques. Domi Delgado est également le créateur et principal rédacteur de deux fanzines: Caos e Idioteces (10 numéros parus) et 80 Miligramos (3 numéros parus), qui s’efforcent « d’aborder des thèmes allant bien au-delà du monde musical, avec des articles sur la littérature, la poésie, la mode et bien d’autres sujets encore » (Teknad, Los fanzines canarios, paru dans Pez n°9).

Sur le plan musical, Domi Delgado officie également dans certains groupes autoproduits, et souvent fantômes, publiés sur Yerk-23, aux noms évocateurs de Fulio Miglesias, Lester Polyester ou Taco & the Bunnytex (en référence au groupe de new wave liverpoolien Echo & the Bunny Men), dont il parviendra tout de même à faire diffuser une maquette par Jesús Ordovás, le John Peel espagnol, sur la radio nationale.

Domi Delgado, entretien donné
au fanzine El perro neoclásico, 1982

Après la dissolution dans la douleur de Familia Real, Domi Delgado crée un nouveau label Superproducciones Manolito sur lequel il publie, en septembre 1983, une cassette autoproduite de 15 titres, Música para subnormales, signée El Humano Marrano (L’homme pourceau). Il y compose tous les titres et y joue quasiment de tous les instruments. A l’exception de deux morceaux enregistrés en studio, le disque est une suite de miniatures low-fi extrêmement ludique et inclassable. Explorant des directions musicales très variées : du dub à l’expérimentation techno en passant par une pop synthétique parfois teintée d’influences orientales ou africaines, l’album s’éloigne clairement du punk et reflète le goût pour l’esprit de mélange et d’aventure du post punk. Domi Delgado y utilise notamment avec jubilation boîtes à rythmes, synthétiseurs et effets, et se situe quelque part entre PIL, les Noise Boys de Stephan Eicher et les Young Marble Giants.

A la recherche de nouveaux horizons, Domi Delgado passe avec succès le concours des Telecom espagnols et se voit destiné, fin 1983, à San Sebastian, au Pays Basque. Une fois sur place, il s’adjoint quelques membres de la scène locale, un dessinateur et deux membres du groupe Los Rigidos, pour former son nouveau projet, intitulé De Picnic. De courte existence, De Picnic prolonge la voie ouverte par Música para subnormales. Le groupe enregistre ce qui devait être un ep, mais finira réduit, par manque de moyens, à un single qui conserve néanmoins sa pochette de maxi. Sorti en 1985 par les Superproducciones Manolito (et la fantaisiste Fundación Delgado de Donosti), El verdadero sonido tortilla est une petite perle de synth pop minimaliste. Assurant toutes les parties instrumentales, Domi Delgado y allie avec brio sens mélodique et expérimentation, notamment sur le morceau Jeanette me quiere (Party Mix), une étonnante pop song aux accents hip hop basée sur les désynchronisations rythmiques, les variations de vitesse et de nombreux samples.

DePicnic, San Sebastian, 1985, Jose Mesa

Toujours en contact avec les îles, Domi Delgado collaborera vers la même époque avec le musicien expérimental José Mesa, dit Mataparda, comme lui originaire des Canaries, sur le très curieux album, distribué sur cassette, El monte de la soledad (1985). La trace de Domi Delgado se perd ensuite dans les méandres de la vie culturelle et nocturne donostierra qu’il appréciait particulièrement et dont il fut une figure active. Mais aucun nouvel enregistrement signé De Picnic, El Humano Marrano ou Domi Delgado ne verra le jour.

Certaines sources affirment qu’un album, comptant Poch, chanteur de Derribos Arias, comme invité, a été enregistré par De Picnic et qu’avant sa mort, survenue le 18 juillet 2007, Domi Delgado aurait évoqué le projet de le publier. Ce supposé album posthume fait aujourd’hui partie intégrante de la légende en laquelle a fini par se transformer l’une des personnalités les plus intrigantes et singulièrement douées de la génération post punk espagnole.

Certains enregistrements de Domi Delgado sont aujourd’hui disponibles grâce au travail du label canarien Los 80 pasan factura.

DISCOGRAPHIE

Destruye / Depresión, Familia Real, single, Canary Records, 1982
Réédité en 2008 par le label Los 80 pasan factura.
Música para subnormales, El Humano Marrano, cassette, Superproducciones Manolito, 1983.
Réédité en 2015 par le label Los 80 pasan factura (CD).
El verdadero sonido tortilla, De Picnic, single, Superproducciones Manolito, 1985.
Contient les morceaux De Picnic et Jeanette me quiere (Party Mix). Un 3e morceau, Tenerife, est crédité sur la pochette mais n’est pas inclus sur le disque.

PERSONNEL (DE PICNIC)

Domi Delgado (guitares, synthétiseurs, piano, percussions, rythmes, violon, scratching, voix et chœurs) – Eneko Setien (chœurs) – Jesús (voix et chœurs) – Rosco (voix et chœurs).

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