Diseño Corbusier

Diseño Corbusier live

Javier : instruments-impulsions.
Ana : voix-insinuations.

Crédits de l’album El Alma de la Estrella.

Fin 1981, Javier G. Marín, alors étudiant, passe une annonce dans le magazine musical Vibraciones dans le but de former un groupe électronique dans sa ville natale de Grenade. Il est contacté par le compositeur Rafael Flores qui lui présente l’artiste sonore Ani Zinc (María José González) et c’est ainsi que voit le jour Diseño Corbusier, un des projets les plus singuliers de la scène synth wave espagnole.

Conjonction de trois fortes personnalités fascinées par les sons électroniques et industriels, le groupe commence à répéter régulièrement dans l’appartement de Javier G. Marín. Parallèlement, les membres de Diseño Corbusier commencent à éditer un fanzine (EURO) et à distribuer des cassettes post punk et électroniques afin de pouvoir faire l’acquisition de machines et d’instruments. Ces activités sont alors regroupées sous le sigle Laboratorios NO. Rapidement, l’idée de publier d’autres groupes surgit et le trio crée, en octobre 1982, son propre label, baptisé Auxilio de Cientos.

Comme le rappelle Ani Zinc, avec Auxilio de Cientos, nous avons trouvé une alternative pour faire exister des œuvres qui ne rentraient pas dans les circuits commerciaux. (…) Nous avons commencé par distribuer en Espagne la cassette de Graf Haufen Tapes Some Waves, des disques: Pseudo Code, Maurizio Bianchi, des compilations: Contactdisc et Katacombe. En plus de nos propres groupes, nous maintenions des contacts avec d’autres labels indépendants espagnols : Necronomicón, Esplendor Geométrico, Tres Cipreses, Ortega y Cassette, ADN, etc.

Pointu et hyperactif, Auxilio de Cientos va publier, entre 1983 et 1986, une douzaine de disques qui vont marquer l’underground musical du pays. Développant une ligne clairement avant-gardiste, le label se lie étroitement au réseau, alors florissant en Europe, du mouvement « Do It Yourself » (DIY) et des cassettes autoproduites. Auxilio de Cientos sort ainsi plusieurs compilations telles Pas de Deux, Femirama ou les deux volumes de Terra Incognita, sur lesquelles apparait le gratin de la scène électronique, EBM et synthétique continentale, avec des groupes comme Algebra Suicide, Benet Gesserit, DDAA, Anne Gillis, The Klinik, Twillight Ritual ou Hector Zazou.

En 1982-83, le groupe produit une série d’enregistrements, sous son propre nom (Clónica, Stadia) ou sous le nom de Neo Zelanda, projet parallèle d’Ani Zinc (Radio Sabotage, Extenso Mundo brillante). Influencé par Stockhausen, le futurisme et Throbbing Gristle, le son est dense et expérimental, favorisant le travail sur les textures sonores, les cut-ups et manipulations de bandes. A partir de là, différentes orientations apparaissent au sein du groupe. Rafael Flores, plus intéressé par les recherches bruitistes, quitte le groupe pour se concentrer sur ses propres projets, notamment sous le nom de Comando Bruno.

Javier G. Marín et Ani Zinc vont alors donner une nouvelle impulsion à Diseño Corbusier et définir peu à peu un style unique : une musique faite des boucles répétitives, de rythmiques palpitantes et de mélodies gutturales esquissées au chant par Zinc. J’allumais le synthétiseur, a déclaré Javier G. Marín, et cherchais un certain type d’arpèges que je sélectionnais ensuite en mode random pour créer un rythme syncopé, ce qu’il y avait de plus proche d’une impulsion. A partir de là, je rajoutais des touches à l’aide des bandes ou d’un instrument. Nous nous entendions parfaitement au niveau de la composition. Normalement, je posais les rythmes et la partie instrumentale et Ani savait trouver le contrepoint parfait avec ses voix insinuantes.

Pochette de Pérfido Encanto, LP,
Auxilio de Cientos, 1985

Un premier album enregistré en 1984, Pérfido encanto, sort l’année suivante sur Auxilio de Cientos. La musique du groupe est encore très industrielle et déconstruite, faisant la part belle aux oscillations bruitistes et aux pulsations stridentes, notamment générées par le « ruidófono », un instrument fabriqué par un ami ingénieur du son. Dans la lignée d’artistes comme Annie Anxiety, Diamanda Galas ou Fatima Miranda, Ani Zinc utilise sa voix comme un instrument en soi plutôt que comme un outil mélodique. Bien qu’expérimental, Pérfido encanto n’est cependant pas exempt d’un certain humour absurde-dadaïste, notamment dans la récupération que fait parfois Zinc des accents andalous de son village d’origine, Andújar.

Le second album du groupe, El alma de la estrella, paru en 1986 sur Auxilio de Cientos, constitue l’apogée du groupe. Le son y gagne d’abord en définition et en tranchant. Pour ce deuxième LP, Javier G. Marín a pu faire l’acquisition d’une boîte à rythmes assez puissante et d’un synthétiseur de dernière génération, le Roland SH-101. La part d’improvisation et la dimension presque live de la musique, due en partie aux conditions d’enregistrement et à l’impossibilité de répéter en studio, semblent en outre plus maîtrisées. Enfin, les compositions y sont plus percutantes ayant gagné en qualité et en concision. El alma de la estrella est au final un travail très abouti qui place Diseño Corbusier dans le sillage des groupes favoris de Javier G. Marín que sont Cabaret Voltaire, DAF ou Flying Lizards.

Affiche promo japonaise de Neo Zelandada

Cet album, allié à l’excellence d’Auxilio de Cientos et à la participation du groupe à plusieurs compilations internationales, confère à Diseño Corbusier un statut prestigieux au sein de la scène électronique et expérimentale ibérique. De fait, le groupe est l’un des seuls projets espagnols, avec Esplendor Geométrico, dont la renommée aie réussi à franchir les frontières nationales.

Diseño Corbusier live

Pour ce deuxième album, délaissant son modus operandi underground, Diseño Corbusier passe un accord de distribution avec le label indépendant Nuevos Medios. Ce choix lui sera fatal puisque le travail de promotion réalisé par cette compagnie va s’avérer inexistant. Face au manque de perspectives, handicapé également par un isolement géographique qui complique les possibilités de concerts, Diseño Corbusier choisit de mettre fin à l’aventure musicale. Le groupe n’aura ainsi jouer que deux fois en direct. L’une de ces deux performances, au Palacio Córdovas de Grenade en 1985, a d’ailleurs fait l’objet d’un enregistrement circulant comme bootleg. Après la dissolution du groupe, Ani Zinc s’éloigne du monde de la musique alors que Javier G. Marín commence à travailler à Madrid pour une compagnie discographique.

Pendant plusieurs décennies, Diseño Corbusier tombe ainsi dans une sorte d’oubli, demeurant seulement présent comme une référence underground, jusqu’à ce que le label espagnol Munster ressorte en 2012 les deux albums du groupe et permette ainsi à toute une génération de les redécouvrir. Depuis, l’intérêt suscité par leur musique et par le catalogue d’Auxilio de Cientos n’a cessé de grandir, suscitant plusieurs rééditions de morceaux chez de prestigieux labels comme Dark Entries ou Domestica, ainsi que l’inclusion du morceau Golpe de Amistad sur Metal Dance, la très cotée compilation de Trevor Jackson.

DISCOGRAPHIE DISEÑO CORBUSIER

Stadia, Cassette, Auxilio de Cientos, 1983.
Réédition Dark Entries en 2016.
Pérfido encanto, LP, Auxilio de Cientos, 1985.
Réédition Vinilisssimo/Munster en 2012.
El alma de la estrella, LP, Auxilio de Cientos, 1986.
Réédition Vinilisssimo/Munster en 2012.

DISCOGRAPHIE NEO ZELANDA

Radio Sabotage, Cassette, Laboratorios NO, 1982.
Paso Hambre / Francés básico, Single, DRO, 1983.
Extenso mundo brillante, Cassette/EP, Auxilio de Cientos, 1983.
Mix Zelánea, LP, Auxilio de Cientos, 1986.

PERSONNEL

Ani Zinc (voix, sons, vocodeur, claviers, percussions, xylophone) – Javier García Marín (synthétiseurs Korg Lambda ES50, Roland SH-101, récepteurs radiophoniques, ruidófono / audio generator, bandes – Revox A77, claviers, percussions) – Rafael Flores (1981-82).

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