La Fura dels Baus

La Fura dels Baus jouant Ajoe sur scène pendant le spectacle Suz/o/Suz, 1985

 

La Fura dels Baus ou le furet de Baus – un lieu dit transformé en décharge, situé près du village catalan de Moyá -, naît en 1979 comme compagnie itinérante de théâtre de rue. Encore lié à la culture hippie à ses débuts, le collectif évolue progressivement dans une direction plus dure, agressive et punk, notamment sous l’influence de l’un de ses membres fondateurs, le plasticien et performer Marcel-lí Antúnez Roca.

Au début des années 80, Antúnez Roca est membre d’une formation de musique expérimentale, dénommée Error Genético, d’où vont sortir beaucoup des idées développées par La Fura dels Baus. Comme le rappelle celui-ci, « le groupe partait d’une proposition musicale mais prétendait inclure dans ses concerts et ses compositions certains tabous de notre société, de telle sorte qu’au niveau scénique et sonore nous incorporions aussi bien des bruits de synthétiseurs ou des percussions métalliques que des animaux instrumentistes (nous avions un perroquet chanteur). Nous voulions aussi intégrer un chimpanzé qui joue de la batterie. D’un autre côté, nous étions très intéressés par la question de la maladie et du handicap physique (…). La philosophie d’Error Genético était de revendiquer la monstruosité du corps humain, les maladies, les animaux comme interprètes… ».

La Fura dels Baus pendant le spectacle Accions,
1984, Josep Gol

C’est peu ou proue le programme que va développer la troupe, avec un succès croissant au cours de la décennie, avec sa célèbre trilogie de spectacles multimédia : Accions (1984), Suz /o/Suz (1985) et Tier Mon (1988). L’expérience furera est avant tout une méthode de création collective s’appuyant sur la désinhibition des acteurs et la provocation du public. Scénographiées dans des lieux non conventionnels tels que sites de construction, dépôts de bus ou fêtes foraines, les actions de la troupe se déroulent au milieu des spectateurs, forcés de participer ou d’éviter les événements sauvages qui s’y déroulent.

Influencés par Yves Klein, les Actionistes Viennois ou Joseph Beuys, les corps des acteurs se confrontent également, dans des actions souvent violentes et destructrices, aux objets industriels les plus variés (carcasses de voitures, automates motorisés, aquariums, caddies de supermarché, barils de pétrole, écrans de télé…), ainsi qu’aux matières organiques ou à des dispositifs technologiques inquiétants. Tribales, transgressives et homo-érotiques, les performances de La Fura dels Baus mettent ainsi admirablement en pratique la maxime de Walt Whitman : je chante le corps électrique.

La Fura dels Baus, Accions, poster, 1984

Accions était déjà un succès, mais c’est Suz/o/Suz, représenté dans 290 pays du monde, qui va lancer internationalement, de manière quelque peu inespérée, La Fura dels Baus. Si la compagnie rencontre un tel succès, ce n’est pas seulement en raison du côté très spectaculaire et provocant de ses spectacles, mais aussi parce que son travail s’intègre à certains courants culturels, artistiques et musicaux en vogue dans les années 80 comme la musique industrielle, les Nouveaux peintres sauvages allemands ou la nouvelle sculpture anglaise.

Suz/o/Suz accordait par ailleurs une grande place à la musique. Quatre à six musiciens membres de la troupe s’y produisaient en permanence sur une scène de douze mètres de long. A partir de ce spectacle, authentique performance indus, le groupe fait un usage constant de sonorités synthétiques tranchantes, développant une esthétique proche d’entités telles Einstürzende Neubauten, Etant Donnés, Survival Research Laboratory ou Test Dept.

Pochette de Ajöe/Marea, EP, DRO, 1983

Sans doute pour prolonger et garder trace de ces expérimentations, La Fura dels Baus enregistre en 1985 un maxi single, Ajöe/Mareâ, à partir de compositions légèrement remaniées du spectacle. Le disque, coproduit par Servando Carballar d’Aviador Dro, sort en 1986 sur le label DRO. Le groupe prolonge l’expérience avec Suz, album dérivé du même spectacle, produit cette fois par Barry Sage (New Order, Pet Shop Boys), sorti chez Virgin en 1987.

Si l’enregistrement du LP diffère de celui du maxi, puisqu’il a lieu cette fois-ci non à Madrid mais dans une maison de famille de la côté barcelonaise à l’aide d’un studio mobile, l’équipe et le résultat sont sensiblement les mêmes. Le noyau musical de la troupe est alors composé de Marcel.lí Antúnez, Carlos Padrissa et Miki Espuma, secondés par quelques musiciens et techniciens. Alliance d’influences africaines et d’Electronic Body Music (EBM), la musique techno-primitiviste produite à l’époque par La Fura dels Baus est dense et pleine de savoir-faire. La production parvient notamment à transmettre un équivalent énergique et varié de la sensation d’une scène remplie d’acteurs. Basés sur les boîtes à rythmes, les morceaux intègrent des claviers, des guitares et des cuivres ainsi que des sons naturels ou concrets (aboiements, bruits d’ustensiles de cuisine, de pluie, de moteurs…).

La Fura dels Baus, machine produite
pour le spectacle Suz/o/Suz, 1985

Après l’accouchement douloureux de Tier Mon et la pression liée à son succès planétaire, le collectif va emprunter une direction nettement plus institutionnelle et commerciale, se défaisant au passage, fin 1989, du trublion Marcel-li Antúnez, parti tenter une carrière solo. Musicalement, la troupe produit encore deux albums durant la décennie : Erg, qui répète, avec un son plus lisse, le mélange ethno-electro-indus de ses prédécesseurs, et Noun, qui cherche à opérer une synthèse entre hip-hop, trance et flamenco.

A partir du spectacle réalisé pour l’inauguration des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, La Fura dels Baus se transforme en producteur d’opéras et de spectacles multimédia à grande échelle que s’arrachent grandes institutions culturelles et municipalités du monde occidental. Comparable, au mieux, à Royal de Luxe, au pire, au Cirque du Soleil, la troupe de punks hippies qui sillonnait les villages de Catalogne à la fin des années 70 est aujourd’hui une entreprise culturelle faisant vivre une centaine de personnes à l’année.

DISCOGRAPHIE

Ajöe/Mareâ, Maxi, DRO, 1986.
Suz, LP, Virgin, 1987.
Erg, LP, Virgin, 1989.
Noun, Virgin, 1990.

PERSONNEL

Marcel.lí Antúnez Roca (trompette, voix) – Carlos Padrissa (saxos, voix) – Miki Espuma (basse, claviers et voix).
Les musiciens suivants ont par ailleurs participé à la production de Ajöe/Mareâ et de Suz: Ramón Castán, (échantillons sonores, séquences électroniques et ordinateurs) – Vidi Vidal (guitares, voix et compositions) – Enric Parés (percussions).

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