Línea Vienesa

Línea Vienesa en concert au Rock-Ola, 1981


Sa ligne, qui est une droite pleine d’obtuses et d’obliques, a tout l’aspect d’être infinie comme des parallèles, des parallèles très « walkyriennes » et assez spectaculaires.

Agustin Tena à propos de Línea Vienesa, Pueblo, 15 juillet 1981.

Formé et dissout à Madrid en 1981, en plein boom de la Nueva Ola, Línea Vienesa fut l’un des groupes les plus prometteurs et fugaces de la scène post punk espagnole. Alliage éphémère de personnalités disparates, le groupe se fait connaître par une série de quatre concerts, dont deux au Rock-Ola, qui obtiennent un excellent accueil du public et des échos très favorables dans la presse nationale.

Les chroniques de l’époque insistent toutes sur l’aspect visuel, sur l’apparence théâtrale et sophistiquée du groupe, orchestrée par la chanteuse, Mavi Margarida, aidée du couturier Jesús del Pozo et du peintre Sigfrido Martín Begué. Sur les photos de ces diverses performances, les membres du quartet – deux filles et deux garçons -, sont vêtus en noir et blanc ou tout en blanc, ou bien incarnent encore des personnages mythologiques et anachroniques tels Dracula / Nosferatu, Marie-Antoinette / la comtesse Báthory, un page / hussard. La scène apparait jonchée de feuilles mortes ou décorée d’accessoires kitchs comme des palmiers, des cages d’oiseau, des sculptures de molosses, une fontaine ornée de flamands roses…

Línea Vienesa en concert au Rock-Ola, 1981

Ces mises-en-scène gentiment carnavalesques sont sans doute ce qui pousse la presse de l’époque à rattacher le groupe au courant néoromantique qui sévit alors en Europe avec à sa tête des formations comme Visage, Spandau Ballet ou Classix Nouveaux. De musique, il est en fait assez peu question. Tout au plus apprend-t-on que la boîte à rythmes et les arrangements du groupe « fonctionnent bien », que ses compositions sont « d’une rare consistance » ou bien que le groupe produit une « jet-pop vaguement teutonique ». Dans un entretien de l’époque, le guitariste et fondateur du groupe, L. Ramon G. Del Pomar, évoque par ailleurs l’enregistrement d’une maquette et la recherche d’un manager. Puis plus rien. Línea Vienesa disparaît aussi vite qu’il avait suscité l’intérêt, sans avoir publié le moindre disque.

En 1994, un morceau de Línea Vienesa, Cangrejos en la cocina, apparait sur une compilation du label Lollipop, Corazón Loco. 40 perles introuvables de la pop espagnole, attestant de l’existence des enregistrements évoqués par L. Ramon G. Del Pomar. Mais il faudra attendre 2012 pour que le label Domestica publie, sous le titre Remando en el Volga, l’intégralité des huit maquettes inédites enregistrées par Línea Vienesa fin 1981 au studio Mario del Castillo. Le groupe compte alors pour tout équipement un synthétiseur loué, une boîte à rythmes Körg, une basse Hoffner, quelques micros et une guitare Gibson ayant appartenu, d’après la légende, à Pete Townshend des Who.

A l’écoute de ces huit morceaux à la fraîcheur intacte, on comprend mieux, à trente ans d’écart, ce qui a pu fasciner critiques rock et personnalités de la scène musicale de l’époque. Mélodiques et immédiates, les pop-songs synthétiques de Línea Vienesa sont pleines de nuances et de sophistication, empreintes de touches oniriques inquiétantes (Cangrejos en la cocina), parfois traversées de motifs classiques baroques (Unheimlich) ou enveloppées de nappes de synthétiseurs à la beauté renversante (Ulyses). Plus que néoromantique, l’univers du groupe s’avère dystopique et subtilement gothique, contant des histoires de mort (Te vas a morir), de robots ne s’aimant plus (Amor de Primavera) ou de réveil post-apocalyptique (Hibernación).

Concert au Rock-Ola, 1981

Minimalistes par nature, ces maquettes révèlent ainsi une compétence et une ingéniosité musicale nettement au-dessus de la moyenne, dans laquelle la voix expressive et sensuelle de Mavi Margarida joue un rôle de premier plan, mais dans laquelle il faut également voir la patte du responsable des claviers, Ricardo Llorca, alors étudiant en piano au Real Conservatorio de Madrid et appelé à devenir l’un des compositeurs vivants les plus prestigieux d’Espagne.

En 1981, Línea Vienesa tissait une sorte de pont idéal entre la pop élastique et fantaisiste de la Nueva Ola, le mouvement musical accompagnant la Movida, et les tendances plus sombres émergeant alors sous l’influence de l’after-punk et de la cold wave européenne. Chaînon manquant entre Alaska y los Pegamoides ou Zombies, d’un côté, et Decima Victima ou Paralisis Permanente, de l’autre, le groupe ne vivra pas suffisamment longtemps pour démontrer son potentiel.

Après la dissolution de Línea Vienesa, les membres du groupe suivront des chemins différents. L. Ramon G. Del Pomar deviendra programmateur du Rock-Ola, la mythique salle de concerts madrilène, puis se partagera entre la mode, la musique et l’interprétation. La bassiste Patricia Alvarez de Lorenzana formera plusieurs groupes dont Tráfico de Rubies. Enfin, après avoir formé avec Ricardo Llorca le groupe pop-jazzy Los Garrido, auteur d’un unique maxi au milieu des années 80, Mavi Margarida se consacrera au design d’intérieur et à la direction artistique pour le cinéma.

DISCOGRAPHIE

Corazón loco. 40 joyas inencontrables del Pop Español, Compilation double CD, Lollipop, 1996. Inclue le morceau Cangrejos en la cocina.
Remando en el Volga, Compilation des maquettes enregistrées en 1981, Domestica Records, 2012.

PERSONNEL

Ricardo Llorca (synthétiseurs) – L. Ramón G. Del Pomar (guitare) – Patricia Alvarez de Lorenzana (basse) – Mavi Margarida (voix, boîte à rythmes).

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