TodoTodo

Ces machines pouvaient donner vie à un nouveau monstre de Krankenstein, une espèce de self-(no)music-man capable de jouer tout, tout (TodoTodo). Nous exercions comme docteurs et pères de la créature.

Carmelo Hernández de TodoTodo.

Apparu en 1980 à Alicante, sur la côte levantine de la péninsule, TodoTodo est l’alliance de trois musiciens-producteurs-laborantins : Francisco García, Carmelo Hernández et Pedro Vidal. Autant nourri de glam rock, de new wave et de musique contemporaine que de cinéma fantastique, de philosophie et d’imaginaire techno, le trio caresse le rêve de créer une musique entièrement nouvelle et d’être produit par Brian Eno.

TodoTodo s’enferme à ses débuts dans son home studio baptisé le Laboratorio de Hyde, qui comprend un « paquet de synthétiseurs haut de gamme contrôlés par un ordinateur ». Pendant plusieurs mois, le groupe y répète, y prépare ses performances et y compose son répertoire. Intéressés par la technologie comme outil de développement créatif, jouant du divertissement en opposition à l’idée de travail, les TodoTodo seront l’un des groupes espagnols du début des années 80 à user de l’électronique avec le plus de rigueur et d’opiniâtreté.

Le studio devient ainsi logiquement le principal instrument d’un projet esthétique et musical résumé par la maxime: « humains composent-programment, non-humains exécutent ». Dans la lignée de combos tels Heaven 17, Human League, Telex ou Yellow Magic Orchestra, TodoTodo aime à se définir comme un « technorchestre », c’est-à-dire comme une bande d’humains augmentés de machines.

TodoTodo, concert au Rock-Ola, 1982

Au terme de cette période d’incubation, les maquettes produites par le groupe sont diffusées régulièrement sur les ondes de Radio 3, dans l’émission de Jesús Ordovás, Diario Pop, fer de lance des nouvelles tendances musicales du pays. En 1981-82, le trio effectue une tournée qui l’amène à Alicante, Barcelone, Benidorm, Valence et, en point d’orgue, à Madrid, pour deux concerts au mythique Rock-Ola, le « temple » de la Movida. La seconde performance a lieu la nuit du nouvel an 1982-83 devant le tout Madrid artistique et musical.

La vidéo existante du concert témoigne de la qualité des performances live de TodoTodo, qui joue strictement en temps réel, sans bandes préenregistrées. Une boîte à rythme exécute généralement des tempos endiablées, entre 120 et 150 bpm, tandis qu’un ordinateur génère de puissantes lignes de basse. Sur cette base rythmique viennent se greffer des touches funky de synthétiseurs et de guitare, des percussions électroniques et les voix souvent à l’unisson.

Le langage utilisé par le groupe est basique, directe, évoquant davantage des slogans ou des cryptogrammes que des paroles : “for…. formación, sol… aerosol, ad…..quisición… ” (MMDMix). Nous étions intéressés, se souvient Carmelo Hernández, par le langage automatique quasi binaire, peu de mots et des messages courts susceptibles de refléter des états d’âme ou sans âme. Ils ne disent absolument rien et c’est ce à quoi nous aspirions.

Carmelo Hernández, concert à Barcelone

Un autre extrait du concert montre Carmelo Hernández en train d’utiliser le son d’une peluche pour agrémenter le pont d’un morceau. Un détournement qui anticipe la pratique aujourd’hui répandue du circuit bending ou du détournement de doo-rags, ces circuits électroniques sonores intégrés aux jouets, chez certains représentants de la scène expérimentale (on pense, par exemple, au groupe madrilène LCDD).

Le futurisme joyeux de TodoTodo est donc teinté d’ironie et d’un humour « non sensique » qui le rapproche notamment de El Aviador Dro. Le groupe cultive ainsi une image décalée, excentrique, comme en témoigne ce portrait où l’on voit ses membres respectivement affublés d’une combinaison de travail, d’un costume d’été et d’une robe de chambre. Le plus marquant reste cependant son approche survoltée et ludique de l’électronique, résolument tournée vers le dance-floor, mélange de funk, de house et de disco. Le trio constitue en un sens le revers solaire des esthétiques sombres et industrielles développées par Esplendor Geométrico ou La Fura dels Baus.

La musique et les performances de TodoTodo ne laissent en tout cas personne indifférent dans le milieu musical indépendant de l’époque. Après son dernier concert madrilène, le groupe est approché par le label DRO qui lui propose la réalisation d’un disque. L’opportunité butte néanmoins sur des dissensions internes et est finalement rejetée par Pedro Vidal, qui souhaite alors signer sur une major. Ces désaccords entraînent la dissolution du groupe avant même l’enregistrement d’un seul single ou album.

Carmelo Hernández

Pedro Vidal partira alors s’installer à Madrid pour développer une carrière de producteur à succès (on lui doit notamment le tube Fotonovela d’Iván). Rebaptisés Muzak, Francisco García et Carmelo Hernández continueront à travailler ensemble, produisant une techno davantage orientée vers l’italo disco. Muzak enregistrera un album en 1985 pour Neon Danza, sous-division de DRO, dont beaucoup de morceaux sont des relectures de titres de TodoTodo. Un second album, enregistré en 1987, demeure inédit. Le duo connaîtra enfin une ultime incarnation sous le nom de Megadeath Extreme publiant un curieux maxi, sur lequel plane l’ombre d’Art of Noise, avant de se dissoudre. Après la mort de Francisco García, Carmelo Hernández continuera à donner parfois des concerts sous le nom de Muzak.

En 2012, le label espagnol Domestica publie Tecnodelia-Tendencias, sélection de maquettes enregistrées par TodoTodo entre 1980 et 1981, agrémentée en édition limitée de l’enregistrement intégral d’une répétition du groupe. Rarement, à l’écoute de ces bandes, groupe espagnol n’aura porté si haut les machines sur le versant hédoniste de la musique électronique, faisant écho à Kraftwerk, Patrick Cowley ou Soft Cell, anticipant également le « terrorisme de discothèque » développé, vingt ans plus tard, par des groupes comme Peaches ou LCD Sound System.

DISCOGRAPHIE TODOTODO

Tecnodelia-Tendencias (1980-81), TodoTodo, Compilation LP, Domestica, 2012.
Non Plus Ultra 1980-1987, Compilation LP, Domestica, 2012.
Inclut le morceau Megaciclos De Verano de TodoTodo.

DISCOGRAPHIE MUZAK

Diversión a control remoto, Muzak, LP, Neon Danza, 1986.
Alto Standing, Muzak. Maxi, Neon Danza, 1986.
Completamente de Rollo, Muzak, Single, Neon Danza, 1986.
Niebla densa. Spanish Synth Wave 1980-1987, Compilation LP, Atemporal, 2016.
Inclut le morceau Teléfono Rojo de Muzak.

DISCOGRAPHIE MEGADEATH EXTREME

Megadeath extreme, Megadeath Extreme, Maxi, DRO, 1987.

PERSONNEL

Francisco García (programmation, voix, claviers) – Carmelo Hernández (programmation, voix, claviers, guitare, percussions) – Pedro Vidal (programmation, voix, claviers, percussions).

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