Assembler une bande-image aux sons qui m’occupent avec insistance, c’est la tâche à laquelle nous nous attelons courant 2016 avec mon complice Yves-Marie Mahé alors que je travaille depuis déjà un an à La Contra Ola. Tâche délicate mais réjouissante puisqu’elle suppose une immersion fébrile dans le temps, à la recherche des fragments de cette réalité convoitée et révolue de l’Espagne du début des années 80.

Archives de concerts, vidéoclips, bribes de films, émissions, actualités : des photogrammes et des séquences émergent dans mon souvenir. Au fil de la recherche et des visionnements, mon esprit se focalise sur quelques images qui saisissent au passage, parfois presque par hasard, au détour d’un plan, quelque chose de l’esprit de la Transition, de l’énergie du moment et de cette créativité que le disque aimerait refléter.

Le travail de collecte n’est pas toujours évident en raison de la rareté ou de l’inaccessibilité des matériaux. Et puis, le Madrid des années 80 n’est pas le Berlin des années 80 où chacun ou presque disposait d’une caméra Super-8 et s’en servait à bon escient, comme en témoigne B-Movie. Lust & Sound in West Berlin. 1979-89 (2015), le superbe film de Klaus Maeck, Jörg A. Hoppe et Heiko Lange.

Place donc au montage. Mais comment organiser ce magma de visions intuitives ? Un petit texte, une sorte de poème, écrit à partir de paroles de morceaux, de citations et de slogans de l’époque peut, je pense, fournir un point de départ. J’ai un peu honte de l’envoyer à Yves-Marie, mais je m’exécute, craignant qu’il ne m’exécute… En dépit de sa nullité, nous jugeons néanmoins qu’il dispose de quelques phrases utiles pour ponctuer le montage. La musique et le talent d’Yves-Marie suffisent ensuite à donner forme à l’ensemble et à lui conférer le rythme, l’humour et l’évocation nécessaires.

En plus d’être un ami, Yves-Marie Mahé est un cinéaste que j’admire et qui me fait souvent rire. Co-fondateur du Collectif Négatif, il excelle dans la forme courte, dans le brûlot expérimental, le montage d’agit-prop, le coup de poing filmé dans la gueule… Comme il est aussi très sensible, le rire s’accompagne souvent chez lui d’un certain désespoir en sous-main, d’une douleur sincère face à la médiocrité du monde et de la culture. C’est ce qui rend son travail touchant et personnel et l’éloigne du cynisme contemporain ou de la pochade inoffensive.

Mais je m’égare, le voici donc ce petit film, amorce d’un témoignage visuel de l’underground musical espagnol des années 80, qui peut-être un jour deviendra grand, qui sait ?

Après avoir consacré des films courts à Evariste et à Colette Magny, Yves-Marie Mahé a étoffé sa filmographie musicale en signant en 2017 un documentaire très recommandable sur les Etablissements Phonographiques de l’Est, un des principaux lieux du Paris des années 90 consacré aux esthétiques alternatives, avec force archives de concerts de Dog Faced Hermans, Whitehouse, Borbetomagus, Keiji Haino, Terrie Ex ou encore Tom Cora, excusez du peu… Il prépare actuellement un nouvel opus, qui s’annonce tout aussi passionnant, sur les Instants Chavirés de Montreuil.

Pour en savoir plus sur les films d’Yves-Marie Mahé :

https://vimeo.com/user8965845

http://negatif.mahe.free.fr/?cat=1